Comment faire pour entrer en résilience ?
J’ai essayé il y a quelques semaines de mettre par écrit ce que j’avais ressenti en rencontrant l’idée d’effondrement (voir ici). Après la stupeur initiale, ma vie a repris son cours. J’oublie même, à certains moments, la possibilité que tout peut s’effondrer et je profite de la vie telle qu’elle est et de la chance que j’ai. J’ai repris mon activité, je suis revenu dans cet aujourd’hui qui est la prolongation d’hier, business as usual. Que faire d’autre ?
En même temps, quelque chose a basculé en moi. J’ai l’impression d’avoir été contaminé et que je ne me projette plus du tout dans un futur linéaire. Mon imaginaire « bourgeois » (voiture, vacances à la plage, études des gamins…) a fait les frais de cette évolution intérieure. De même, je souris intérieurement quand on évoque des projets en 2030 qui ne prennent pas en compte les catastrophes à venir. Je cherche par ailleurs à échanger autour de ce sujet avec les personnes intéressées : et si ? Et si, ce que nous prenions pour acquis (le fait que le « système » continue à répondre à l’essentiel de nos besoins de base, le fait que notre futur peut être extrapolé de notre passé) devait être reconsidéré ?
Pris entre cette vie normale, très chouette et cette croyance nouvelle, je me sens tiraillé. Et je me demande : comment bien poser le problème ? Entre la nécessité d’une autre consommation, les élections au Brésil, les scénarios climatiques catastrophiques, la sensation d’absurdité de notre fonctionnement actuel, il est douloureux de mettre un pas devant l’autre sans céder au désir pressant de mettre de côté les informations gênantes et de se voiler la face.
Faut-il changer drastiquement de mode de vie ? Comment ? Par quoi commencer ? Faut-il faire pression sur les autres ou faut-il faire pression sur les politiques ? Faut-il montrer l’exemple ou mener une lutte politique ? Faut-il inventer un nouveau modèle ? Faut-il le pratiquer au plus vite ? Est-ce pertinent de chercher à promouvoir l’idée d’effondrement ou est-ce dangereux ? Comment gérer le fait que nos actions semblent bien peu de choses au regard de la taille du problème et des actions des autres… ?
Sans prétendre du tout avoir une quelconque solution, j’ai l’intuition que la façon de poser le problème a un énorme impact sur la mise en action réelle. Il s’agit, pour moi, d’un problème de transformation et d’alignement. Des transformations sont nécessaires, à tous les niveaux (de nos vies spirituelles à la façon de traiter les problèmes géopolitiques). Et celles-ci doivent être « alignées », entrer en fréquence les unes avec les autres, sous peine d’être malheureusement inutiles.
La chance que l’on a, c’est qu’ils sont nombreux à avoir vu le problème depuis un moment et à proposer des pistes de réflexion et d’action. Au sein de ce que j’ai lu, un concept simple émerge, comme la suite logique de l’idée d’effondrement : celui de résilience.
La résilience est la capacité d’un système à perdurer malgré les chocs. La résilience, couplée à l’idée d’effondrement, ouvre un espace-temps productif, voire même joyeux. Puisqu’il est trop tard (pour éviter que les choses ne changent) et qu’il n’y a pas de solution (pour conserver le monde tel qu’il est), alors il devient possible d’entrevoir une possibilité de muter vers la seule perspective qui fait sens pour notre survie : développer notre capacité à encaisser les chocs, dans la joie et la bonne humeur. Il me semble qu’on peut aborder ce sujet par 3 questions :
- Comment faire pour limiter les dégâts ? (Comment faire pour cesser de mettre du carbone et autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère ? Comment faire pour limiter notre impact sur la biosphère et les ressources de notre environnement ? …)
- Comment faire pour se préparer à la vie d’après ? (Comment faire pour se couper des flux et développer notre autonomie ? Comment développer notre capacité à encaisser les chocs ? Comment faire pour gérer les aspects matériel (survie) ? Comment faire pour anticiper correctement la vie d’après ? …)
- Comment faire pour cultiver la joie et le sens, aujourd’hui et demain ? (Comment faire pour se connecter aux autres, créer de l’appartenance et favoriser l’entraide ? Comment faire pour gérer la dissonance cognitive ?)
Alors, comment faire pour muter vers plus de résilience ?
Voici une petite proposition de carte, destinée à évoluer, pour un atelier de partage ou pour faire un point tout seul autour de ce sujet.
L’utilisation de cette carte pourrait être la suivante :
- Énoncer un certain nombre de règles du jeu
La résilience est faite de ET : toutes les pistes sont légitimes (de trier ses déchets à organiser la révolution). Il ne s’agit pas de trouver une vérité mais de produire une mise en mouvement
La porte d’entrée est celle qui vous convient le mieux : il n’y a pas de hiérarchie entre les niveaux (individuel, collectif, macro), on entre où on veut en étant attentif aux effets sur les autres niveaux
On se félicite de ce qu’on a déjà fait et on n’hésite pas à être ambitieux et tranché sur les objectifs (mieux vaut dire « j’arrête le bœuf » que je diminue de 82 %)
…
- Ensuite, proposez une des 3 questions évoquées au-dessus
- Démarrez par la colonne FAIT : ce que vous avez fait ou ce qu’a fait le groupe, aux différents niveaux. Il n’y a pas de mauvaises idées, il s’agit de réaliser, individuellement ou collectivement que le changement est en marche
- Ensuite, passez à la colonne SOUHAITABLE : les idées que vous avez en tête, celles qui travaillent le groupe… on a tous une idée de ce qu’il faudrait faire !
- Vous pouvez passer sur ces 2 colonnes pour les différentes questions de la résilience
- L’objectif final est d’aboutir à des engagements sur la dernière colonne VA ÊTRE FAIT. Qu’est-ce que vous allez faire (très) prochainement. Qu’est-ce que va faire le groupe ? Évidemment, les 2 premières colonnes sont à réservoir à idées (à reproduire ou à mettre en œuvre). Et, plus on s’encourage à plusieurs, plus c’est facile.
Il est bon de faire des points réguliers, de suivre les avancées, de progresser, si possible en groupe, pour avancer dans sa transformation. Plus on progresse vers un alignement, intérieur et / ou en groupe, plus l’efficacité et la portée des actions seront grandes !
En conclusion, si les perspectives sont sombres, je crois sincèrement qu’elles ont l’avantage de nous remettre face à nous-mêmes, dans un présent actif, qui n’est pas celui qui est le prolongement d’hier mais une ouverture sur des possibles, un autre monde. Il s’agit de prendre acte. De dire oui à ce qui est, aux changements à venir et d’accepter de retrouver une place humble, soumise aux contraintes, pour cultiver notre puissance d’agir.
Pour illustration, ma carte à date (il y a encore beaucoup de boulot !) :
Et vous, quelle serait votre carte ?